
La bête lui faisait face, la bave aux lèvres, ses yeux jaunes luisant de férocité. Il s'agissait d'un loup, d'une taille moyenne et dont l'épaisse fourrure n'occultait pas la maigreur significative. Toute une partie de la gueule frémissante de l'animal était tordue, lacérée, les chairs à vif formant un labyrinthe de tissus. De la boue avait formé une croûte à certains endroits et l'on pouvait sentir très fortement l'odeur pestilentielle qui s'en dégageait. Frost fronça le nez de dégoût. Depuis quand y avait-il des loups dans ces contrées reculées ? Il n'en avait jamais vu, et cette première vision le glaçait d'effroi. Quelle était cette chose, bon sang ?! Et que faisait-elle dans une des cours de Givrepierre ? L'attendait-elle ? Pourquoi l'attaquait-elle ? Une des pattes arrière de la créature était prise dans la glace, là où Jack l'avait frappée de son bâton. Elle titubait, boitait mais ne maintenait pas moins la distance entre eux par le simple éclat de son regard. Frost ne put s'empêcher de trouver une certaine majesté à ce loup, pourtant brisé. Même rompu, même déçu par le Destin, il se tenait encore debout, fier, prêt à se battre pour sa vie. Et lui, que faisait-il ? Il se contentait de se morfondre dans son coin, s'amusant avec ses pouvoirs et désespérant qu'une chose miraculeuse se produise. Or, rien ne se produira jamais : comment s'élancer vers l'avenir si l'on reste irrévocablement ancré dans une réalité passée ? Et cet animal, il avait tout perdu, mais avait-il renoncé pour autant ? S'était-il laissé dépérir ? Non. Il userait de ses griffes jusqu'à ce que celles-ci se brisent dans la chair de ses ennemis, il respirait l'air vivifiant des cimes jusqu'à ce qu'il étouffe, noyé par leur sang. Alors, quand toutes ses forces l'auront quitté et que sa pensée sera tellement floue qu'il n'aurait plus la volonté de continuer, alors, et seulement à ce moment-là, il se donnera le droit de mourir.
Frost abaissa son arme. Il n'ôterait pas la vie à cette bête. Il n'en avait ni le droit, ni le courage. Ce loup valait déjà bien mieux que lui et avait tout à lui apprendre. La créature sembla se méfier de son acte, puisqu'elle gronda de plus belle. Jack sentit qu'il devait dire quelque chose :
- Je ne te ferais pas de mal.
L'animal tourna sa face vétuste vers lui et le dévisagea avec une sorte de suspicion sauvage. Frost esquissa un sourire maladroit et posa lentement, très lentement, sa crosse au sol, épié dans ses moindres mouvements par deux iris jaunes.
- Tu vois ? Tu n'as rien à craindre.
- Et qui te dit que tu me fais peur ? répondit une voix féminine.
Jack se retourna brusquement, mais il n'y avait personne derrière-lui qui puisse avoir parlé. Il regarda avec stupeur la bête dont l'expression s'était faite plus moqueuse.
- Tu me fais rire, Humain, reprit la voix qui semblait venir du loup.
- Je ne suis pas Humain ! cingla Frost qui n'en croyait pas ses oreilles. Le loup...ou plutôt la louve, parlait. Il n'était pas au bout de ses surprises.
- Ah oui ? Qu'es-tu, sinon un faible ?
- Mon nom est Jack Frost et je suis le fils de la Lune.
La louve ouvrit sa gueule et la referma. Elle perdit peu à peu de son attitude menaçante, pour finalement s'installer sur son séant, maladroite à cause de sa patte prise dans le givre. Elle l'observait d'un drôle d'air.
- Et toi, qui es-tu ?
- Une louve, répliqua l'interpellée en grognant.
- Tu n'as de nom ? s'étonna Jack avec sincérité.
- Ceux qui nomment s'approprient l'âme des choses. Je suis un esprit libre, moi.
- Les noms nous donnent une identité. Tu es peut-être libre, mais existe-tu seulement ?
- Bien sûr que j'existe ! s'insurgea la créature en montrant ses crocs jaunis. Pour qui te prends-tu, pour me parler de la sorte ?!
Frost s'accroupie au sol et entreprit de gratter la neige du bout de ses ongles pointus. Il se remémora le temps où lui aussi n'avait pas de nom, avant que le vent ne le lui révèle. Comme il s'était senti vide alors ! Une vie s'ancrait toujours en un point. Lui n'avait à cette époque aucune amarre, il était largué dans l'océan de l'éternel et son âme n'avait même pas de consistance. Cette louve se disait libre, certes, mais à quel prix ?
- Je ne me prends pour personne. J'ai au moins l'avantage surtout d'être quelqu'un. Je te le redemande, qui es-tu, toi ?
- Je suis une louve, comme ma mère avant et comme tous mes ancêtres !
- Faux. Tu n'es rien. Pourquoi n'as-tu pas de nom ? Je pourrais t'en donner un si tu veux.
- Je n'ai pas besoin de ta charité.
- Tu as une patte hors-service. Comment crois-tu vivre ainsi ?
- Tu me fais du chantage, c'est ça ?! Je ne comprends pas pourquoi tu tiens tant à me nommer.
Jack esquissa un vague sourire. Il s'était mis cette idée dans la tête. Après tout, c'était la première fois qu'il parlait à un être de chair et de sang, et cela lui faisait plus de bien qu'il n'aurait voulu l'avouer. Il voulait remercier la louve, il souhaitait qu'elle devienne quelque chose pour lui. Or, sans nom... Il choisit d'être sincère avec elle. On ne perdait rien à dire la vérité.
- Tu es la première personne à qui je parle.
La bête le regarda bizarrement, avant de laisser échapper un jappement amusé.
- Parce que je suis une personne maintenant ? ria-t-elle. Mon pauvre, tu perds la tête !
- Oui, pour moi tu es une personne. Ce qui compte, ce n'est pas ce que l'on est pour ce monde, mais ce que l'on est pour soi. Tu te considères comme une louve. Moi je te vois comme un être à part entière. Je suis certain qu'en toi, se cache une magnifique jeune fille. Je ne la connais encore pas très bien, mais elle m'est sympathique .
- Ah oui ? Et comment s'appellerai-t-elle cette humaine ?
- Nymeria, lança-t-il gravement. Ca veut dire sauvage.
La louve s'était tue. Une sorte de voile avait embué son regard, elle semblait partie dans ses pensées. Puis elle plongea ses iris jaunes dans les orbes bleus du fils de la Lune. La cour de Givrepierre était balayée d'une bise mordante, les murs gelés chantaient leur mélopée millénaire dans le vent et le pas de milles et une âme foulait d'un crissement cristallin la neige, vestiges de l'existence. Il n'y avait pas de temps. Juste deux esprits qui se rencontraient. L'aura de leur force était deux flammes brûlantes, à vif, qui se léchaient avec ardeur dans ce froid de désespérance.
- Qu'attends-tu de moi ? murmura la louve.
- Des réponses, répondit Frost d'un même souffle. Toi, tu connais le monde. Montre-moi sa vérité.
- Tu veux dire que tu ne connais rien d'autre que le Grand Brask ? s'étonna la bête. Comme c'est étrange ! Tu n'es jamais allé au Séculaire ?
- Au... Séculaire ?
- C'est plus sérieux que ce que je ne pensais. Ecoute, fils de la Lune, toi et moi on peut peut-être s'aider.
- Je t'écoute.
Nymeria sembla prendre une profonde inspiration, changea brièvement de position avant de sa lancer :
- Eh bien, comme tu as pu le constater, je ne suis pas au meilleur de ma forme. J'en suis même réduite à attaquer des voyageurs tels que toi ! Mais cela n'a pas toujours été ainsi. J'ai été condamnée à errer ici pour des raisons que je ne peux te révéler maintenant. Seulement, j'ai besoin de voir quelqu'un... Je te propose donc un marché : je t'emmène au Séculaire, te donne les « réponses » que tu cherches tant et en retour, tu me permets de voir cette personne. Ca me paraît plus qu'équitable.
Jack Frost considéra l'animal avec un ½il nouveau. Elle aussi avait une histoire... C'était grisant, de découvrir la richesse des choses. Il n'y avait donc pas qu'une seule nuance de gris, elles étaient des milliards. Le pacte lui paraissait plus qu'honnête en effet, et relativement tourné en sa faveur. Il fallait dire que la louve avait tout à y gagner. Cependant, d'un autre côté, il ignorait ce qu'impliquait réellement la partie qu'il devait remplir. Et puis, pouvait-il faire confiance à la créature ? Après tout, elle avait essayé de le tuer. Elle était pourtant son unique chance de comprendre.
- D'accord, conclut-il finalement, j'accepte ton marché. Mais à une condition : tu me laisse t'appeler Nymeria.
L'interpellée leva les yeux au ciel mais ne fit aucun commentaire. Elle se redressa tant bien que mal sur ses pattes et grinça d'un ton sans appel, désignant son membre gelé :
- Et si tu commençais par me débarrasser de ça ? Va falloir que tu t'active, fils de la Lune, on a une sacrée route à faire. Départ dans cinq minutes.
Et Frost de se précipiter.
†
- Tu vas me manquer, Janus.
Fièvre serra fort son aîné dans ses bras. Dans quelques instants, chacun partirait de son côté : lui avec Warden Bloom vers l'Ouest et l'autre avec l'impétueux Ruffian Torch au Sud. La chose s'était conclue ainsi. Les deux saisons n'attendaient aucune effusion de larmes ou autres. Ils patientaient en retrait, Ruff retenant des grimaces de dégoût à chaque fois que les frangins échangeaient des paroles réconfortantes. Il finit par craquer :
- Ramène tes fesses, gamin, j'ai pas que ça à foutre.
Le Printemps lui jeta un regard inquisiteur et son cadet se renfrogna quelque peu. Janus trottina vers son maître, sans se retourner, de peur de ne pas avoir le courage de poursuivre. Jamais il n'aurait pensé que sa vie allait prendre un tel tournant : il entrait au service d'une des quatre saisons, soit l'un des plus puissants seigneurs du Séculaire. Mais à quel prix ? Il était désormais et irrévocablement séparé de sa famille, ne savait ce qu'il allait advenir d'elle et nourrissait une crainte dérangeante à l'endroit de son supérieur. Qu'est-ce qui l'attendait réellement là-bas ? Il n'était jamais entré à Ventrefeu, le palais d'Eté, forteresse construite à flanc de la montagne d'Albion, réputée imprenable et insoumise. Il allait sûrement passer le restant de ses jours à cet endroit qui n'était pas nécessairement le plus agréable de ce monde. Enfin, ce n'était pas comme s'il avait réellement eu le choix. Qu'espérait-il donc ?
Torch l'emmena vers les cages d'ascenseurs et le poussa sans ménagement à l'intérieur de l'une d'elles. Voyant qu'il ne l'y suivait pas, le garçon demanda d'une petite voix timide :
- Vous ne montez pas ?
- Ca te regarde ? Rejoins-moi au troisième palier, je prends les escaliers.
Et il tourna les talons tandis que les portes de verre de l'ascenseur se refermaient en un grincement. Janus resta abasourdi : qu'est-ce qui pouvait pousser Torch à de tels actes ? Bah, peu importe, on lui avait bien fait comprendre qu'il n'avait pas son mot à dire. Durant la lente descente, l'enfant s'appuya contre une des parois de la machine et soupira. Il était fatigué, non, exténué. Il ne souhaitait qu'une chose : une bonne nuit de sommeil comme il n'en avait pas eu depuis qu'il était arrivé au Grand Brask. Seulement, son maître la lui accorderait-il vraiment ? Il en doutait.
Il finit par atteindre le troisième palier. Les portes s'ouvrirent et il s'engagea dans le corridor, indécis. Un coup d'½il à droite, à gauche : personne. Nulles traces de son seigneur. S'était-il trompé d'étages ? Il hésitait à avancer plus profondément lorsqu'un des tanukis du Pont fit irruption dans le couloir. Sa fourrure dorée était parcourue de tâches d'un blanc laiteux et son ventre était zébré de noir. Le contour de ses yeux était également lacté et soulignait son regard violet. Janus sentit un malaise dévorant s'emparer de son ventre. La créature magique le regarda intensément, s'approchant toujours plus. Bientôt, elle ne fut qu'à quelques centimètres du garçon. Celui-ci n'avait jamais soupçonné l'intelligence brillant dans les iris améthystes de l'animal, ni même la haute taille de ce dernier. Le tanuki se dressa sur ses pattes arrière pour se mettre à sa hauteur et tendit son membre antérieur droit. Au creux de sa patte dont il détendit les phalanges se lovait une petite enveloppe rebondie sur laquelle était inscrit son nom. Janus n'en croyait pas ses yeux : c'était à lui que cette lettre était adressée. Hésitant, il la prit sans quitter le messager du regard, mais alors qu'il levait la tête pour le remercier, il avait déjà disparu. L'enfant resta silencieux un instant. Avait-il rêvé ? Non, la missive était bien dans sa main, là. Il se résolut à la décacheter. Lentement, il en extirpa un pendentif en forme de plume glissé sur une chaîne d'or blanc. Il y avait également un message avec, écrit d'un trait italique : « L'Hiver vient. Les plateaux se retourneront sept fois. » Janus resta abasourdi. Qu'est-ce que cela signifiait ? Qui était l'Hiver ? Il songea qu'on avait dû se tromper de personne. Oui, c'était cela, le tanuki avait fait erreur sur le destinataire. Il y avait certes marqué son nom sur l'enveloppe, mais il n'était sûrement pas le seul à porter ce prénom, n'est-ce pas ? En tout cas, pas la peine de penser à le rendre au messager, c'était peine perdue. Le garçon plia soigneusement la lettre en quatre et la fourra dans une des poches de sa tunique et il attacha le collier autour de son cou, l'enfouissant précautionneusement dans sa pelisse de poil gris pour qu'il échappe aux regards des curieux. Il sentit la présence de la plume tout contre sa peau...
- Qu'est-ce que tu trafique ? retentit une voix derrière lui.
L'enfant se retourna vivement et tomba nez à nez avec Torch qui le toisait d'un air mauvais.
- Amène-toi, aboya-t-il, je ne vais pas t'attendre pour partir.
Et l'imposant Eté s'engouffra dans l'une des innombrables portes du couloir, son apprenti sur les talons. Janus remarqua qu'il serrait un petit objet dans sa main. Mais avant qu'il ne puisse distinguer de quoi il s'agissait réellement, Ruffian le fit disparaître comme par magie. Cachait-il donc quelque chose ? Ils débouchèrent sur l'une des fameuses passerelles, en ébullition, tant elle regorgeait de monde. « Il est vrai que la nouvelle saison débute dans deux jours, songea Janus. » Il fut émerveillé par toutes ces étranges personnes qui faisaient la queue pour partir vers Ventrefeu et les contrées de l'Hyrrstein, siège des seigneurs de l'Eté. A l'arrivée impromptue de ce-dernier, les hommes et les femmes présents s'inclinèrent et s'écartèrent à son passage, formant une respectueuse haie d'honneur. Tous ressemblaient plus ou moins à leur supérieur : des favoris abondants et tressés pour les hommes, des coiffures compliquées pour les femmes, des vêtements en cuir et en peaux de liombres, des tatouages sur le visage, les bras, le torse. Il y avait également des représentants d'autres comtés, mais ils restaient minoritaires. Janus se sentait observé : il devait attiser la curiosité de plus d'un. Cela l'intimida et il se surprit à serrer le mystérieux pendentif dans son poing.
- Craïn ! appela Torch, rassemble les hommes, nous partons. Et dis à Juni de venir me voir tout de suite, je dois lui parler.
Le dénommé Craïn se releva parmi la foule et commença à hurler des ordres à tout va. C'était un être pas très grand, il possédait simplement quelques centimètres de plus que l'enfant. Comme Ruffian, le haut de son corps était livré aux morsures du ciel, couvert de balafres et de tatouages, tanné par des années de servitude guerrière. Les poils courant le long de l'arrête de sa mâchoire était grisonnant et si longs qu'ils s'emmêlaient en de lourdes tresses ornées d'anneaux de bronze. De longs cheveux noirs, épais et sales lui retombaient sur le visage, assombrissant sa face meurtrie, relevant l'éclat cyan de ses pupilles. So nez était assez imposant et sa bouche perpétuellement tordue. De plus, un énorme marteau de guerre reposait contre son large dos. Indéniablement, on ne plaisantait pas avec cet homme. C'était un guerrier qui avait dû voir bien des batailles. Mais curieusement, Janus n'avait eu vent d'aucun affrontement au Séculaire : ce monde n'était-il pas pacifié ? Quels ennemis y avait-il à combattre ? Le garçon n'eut pas le temps d'y réfléchir puisque Ruffian Torch le saisit par la peau du cou et le souleva de terre.
- Toi, tu commences mal, siffla-t-il. Regarde où tu vas, ouvre tes yeux et tes oreilles et cesse d'avoir ce sourire béat et profondément débile. Nous allons chevaucher pendant trois jours jusqu'à Trest, donc tu as intérêt à suivre le mouvement, sinon...
- Oui, Maître, je...
- Ruffian ! le coupa Craïn en s'approchant. Dame Juni vous attends à l'avant de la cohorte.
Il glissa un regard suspicieux vers Janus, avant de le pointer du menton.
- Qui est-ce ?
- Une trouvaille du Gardien, répondit l'Eté. Il me l'a refourgué parce que ça l'arrangeait. J'ai prévu de le mettre aux machineries avec Royal.
- Avec Royal ? Je sens que je vais bien rigoler. S'appelle comment ?
- Janus monsieur, asséna l'enfant d'une voix qui se voulait assurée.
- Pas de « monsieur » avec moi, marrmot. Moi, c'est Craïn Hammergin, chef des Askarrihm et bras-droit de l'Eté.
Janus eut l'irrépressible envie de disparaître sous terre. Il n'aimait pas le regard de cet homme. Il n'avait de même aucune idée de ce qu'étaient les Askarihm dont il se disait le leader, du moins, n'en avait-il jamais entendu parler. Il se garda d'en faire la remarque, conscient que cela ne ferait qu'aggraver son cas. Il espérait de tout c½ur ne pas avoir à faire avec Hammergin et rester avec Torch. Ce-dernier engagea la conversation avec son subalterne :
- Craïn, je veux que tu t'occupes de ce garçon jusqu'à la nouvelle saison, entraîne-le, fais-le bosser avec Royal, bref, fais-en quelque chose d'utile. Je n'aurais pas de temps à lui consacrer d'ici-là. Je compte sur toi, frère.
- Tu ne le marque pas ? s'étonna l'autre.
- Non. Pas encore. Je veux voir ce qu'il vaut.
- Et s'il s'avère que ce n'est qu'un merdeux ?
- Alors tue-le.
Les deux hommes échangèrent un regard entendu. Torch lâcha le garçon tremblant qui chuta lamentablement aux pieds d'Hammergin. Celui-ci aboya, peu commode :
- Debout ! Vais te trouver une monture. Suis-moi.
Janus se mit sur ses pieds comme il put et du presque courir pour ne pas perdre le chef des Askarrihm de vue. Au fur et à mesure qu'ils progressaient, la foule se faisait moins dense, plus éparse. Au final, la passerelle fut complètement dégagée et offrait à la vue un spectacle que l'enfant n'oublierait jamais : des colonnes entières de cavaliers d'Hyrrstein se succédaient à se perdre dans l'horizon, montés sur des hyènes à six pattes aux pelages zébrées de rouge et de bronze, se mordant entre elles, leurs cris bestiales se mêlant aux claquements des drapeaux dans le vent. Plus loin, Ruffian Torch enfourcha un liombre aux poils ambre et or qui rugit avec puissance. Vite, Craïn souleva Janus de terre et le fit assoir sur une jeune hyène frémissante et monta sur la bête à sa droite.
- Accroche-toi bien, lui conseilla-t-il gravement.
Janus hocha frénétiquement la tête, les yeux écarquillés, empoignant à pleines mains les touffes de poils qui se présentaient à lui. Sa monture jappa d'excitation.
- Hyrrstein ! hurla Torch.
Et la cohorte s'ébranla.
Fièvre avait l'impression que son monde s'effondrait. Janus était parti. Il l'avait laissé. Il n'avait même pas jeté un seul regard en arrière. Fièvre était déçu. La place qu'il occupait dans le c½ur de son aîné était donc si restreinte ? Et s'il avait été Embre, son frère se serait-il retourné ? Quelque part, au fond de lui, une voix malsaine lui soufflait que oui. Et cela l'horrifiait.
- Ton grand frère est un petit homme courageux, souleva tout-à-coup Bloom, un sourire paisible au coin des lèvres.
Ils cheminaient dans les jardins du Pont depuis que l'Eté s'était replié vers le Sud. Fièvre était resté silencieux, fasciné par la prestance de son nouveau maître qui, s'il ne semblait n'avoir rien d'un guerrier, dégageait une certaine aura mystique. Le gigantesque boomerang qui avait causé tant de dégâts avait mystérieusement disparu au nez et à la barbe du petit garçon qui avait renoncé à comprendre. Il n'osait poser des questions, intimidé par la sérénité du lieu et le calme olympien du Printemps. Il ne répondit donc rien à cette remarque, bien qu'il eût la désagréable impression que Warden Bloom lisait dans ses pensées. Celui-ci reprit de sa voix douce :
- Il peut être fier de ce qu'il a fait pour toi et ta s½ur.
- Qu'en savez-vous ? explosa soudainement Fièvre, ses yeux ambrés brillant d'une triste hargne.
Son maître s'arrêta au milieu du chemin et caressa du bout de ses longs doigts une fleur qui commençait à faner. Sa longue queue de cheval d'un blond lumineux ondulait gracieusement dans son dos et l'ample tissu vert émeraude qui lui ceignait les hanches ondulaient dans la chaleur d'alors comme l'eau trouble d'un étang. Il semblait plongé dans ses pensées. Fièvre se mordit la lèvre et se maudit intérieurement : il cherchait réellement les ennuis. Pourquoi était-il toujours malpoli, insolent et désagréable ? Etrangement, s'il prenait plaisir à jouer le rôle du mauvais petit garçon, la personne de Bloom lui donnait envie d'être quelqu'un de bien. Après tout, celui-ci lui offrait une nouvelle vie, une vie où il aurait tout pour être heureux, de son éventuel statut d'Assistant à sa prospérité intérieure. Il se promit de ne plus le contredire. Les traits du Printemps s'étaient assombris et son visage se fit plus dur.
- Tu as raison, concéda-t-il d'un ton un peu sec, je ne connais rien du devoir d'un frère envers ses cadets.
Et il écrasa dans son poing la rose à laquelle il semblait porter tant d'attention auparavant. Fièvre eut l'impression d'entendre le hurlement d'agonie de la plante dont les pétales se dispersaient dans le vent chaud, mais ce n'était sûrement qu'une hallucination. Warden accéléra le pas et le garçon aux cheveux noirs le suivit, plein de remords. Les jardins du Pont étaient aussi luxuriants qu'abandonnés, à cette époque du cycle. Le Printemps laissait sa place à l'Eté et les créatures de ce-dernier supplantaient férocement celles de l'ère précédente. Dans les carrés de verdure, la flore semblait étouffer, la terre suffoquait sous la chaleur naissante et c'était comme si un poing écrasait toute cette beauté. Depuis quand n'avait-il pas plu ? Même l'herbe commençait à jaunir. Cette vision lui donnait la nausée : le passage d'une saison à une autre impliquait-elle réellement ce malaise ? Il avait l'impression d'être oppressé par une force qui le dépassait. L'enfant reporta son regard vers son maître qui cheminait plus avant. Il lui paraissait plus faible, plus délicat, hésitant sur ses longues jambes graciles serrées dans des cuirs sombres. Peut-être était-ce pour cela qu'il était passé à travers la fenêtre : s'il avait joué sur sa maladresse manifestement commune, peut-être cela démontrait-il son affaiblissement progressif. Fièvre ne s'était jamais posé la question : qu'advenait-il des autres saisons, quand leur heure était arrivée ? Il se souvint avoir entendu un jour que la mort n'était qu'un commencement. Cette pensée le fit frissonner.
Plus ils progressaient dans les parterres de fleurs dévastés, plus le miroitement de l'onde se faisait proche. Le garçon se souvint que l'énorme tour du Pont était entourée d'eau qui s'écoulait en cascades de la gueule de liombres sculptés. Quand la fosse aquatique fut en vue, Fièvre ressenti comme des picotements dans sa nuque. Bloom, sans lui prêter la moindre attention, s'agenouilla sur la berge et contempla son reflet dans l'eau. Son protégé fit de même, se tenant plus en retrait. Le Printemps ne semblait plus pouvoir détacher son regard de son propre visage et cela intrigua Fièvre qui se permit de demander, en un murmure :
- Que voyez-vous ?
- Je vois mon frère, Ruffian Torch, menant ses Askarrihm vers les terres d'Hyrrstein, annonçant dans tout le Séculaire l'ascendant de l'Eté. Je contemple le ciel en lambeaux, déchiré par une guerre millénaire dont on ne voit l'issue fatale. Je distingue un bambin, confiée aux soins des Dames de l'Automnes. Et... C'est étrange... Mon regard se porte vers des contrées lointaines où une créature qui m'est inconnue s'élève vers des horizons plus dégagés. Vers... une aurore boréale.
Warden plissa les yeux et son concentra au maximum. Mais l'idée qui l'avait saisi quelques secondes auparavant avait disparue. Nul doute que ce qu'il avait vu...
- C-comment faites-vous cela ?! s'ébahit son protégé en coupant cours à ses pensées.
- Approche, ordonna-t-il simplement.
Fièvre s'exécuta, curieux de ce qui allait lui être montré. Allait-il observer lui aussi les mânes de l'univers ? Bloom le fit assoir à côté de lui et désigna la surface de l'eau.
- Que vois-tu ?
- Je me vois mon reflet, répondit l'enfant.
- Et dans quels autres endroits peux-tu voir ton reflet ?
- Dans un miroir je suppose.
- Alors considère l'eau comme un miroir : elle te renvois ta propre lumière. A toi d'en décomposer les images pour entrevoir ce qui est invisible.
- Vous voyez l'avenir ?
- Je vois ce que la Dame Blanche veut bien me montrer, le contredit le Printemps.
- Est-ce que ça marche aussi avec la glace ?
Warden fronça les sourcils. La glace... Quelque chose dans sa tête, dans le fil de ses idées, venait de forger un lien. Une connexion irrévocable et si évidente qu'il s'en serrait frappé la tête contre les murs pour ne pas y avoir pensé plus tôt. Et comment, oui comment, ce garçon dont il ignorait tout avait-il put lier des choses que même lui, le Veilleur, n'avait pu soupçonner ? Il vrilla son regard perlé dans celui, or, de Fièvre. Ce petit allait peut-être s'avérer plus utile que ce qu'il avait escompté. Il sentait que l'arrivée de cette nouvelle saison était une pièce que la Chouette avait choisi d'avancer sur le plateau de son Echiquier. Fièvre était-il également l'un des pions de ce plan divin ? Et plus important encore, contre qui la Dame Blanche jouait cette dangereuse partie ?
Quelque part, des forces s'éveillaient, qu'elles soient bonnes ou mauvaises. L'ordre établi allait être bouleversé. Warden résolut de ne pas intervenir, de ne prévenir personne de ce qui se tramait au-dessus d'eux. Lui-même n'était qu'un fou entre les mains du destin. Attendre, observer, comprendre. Et contempler la fin d'un monde.
†
La voix de Frost tomba dans le silence guttural de la salle du trône comme un cheveu sur la soupe. Nymeria ondulait devant lui, sa queue balayant les dalles de marbres qui constituaient le sol. Elle semblait sûre d'elle et cheminait d'un pas assuré et félin. Le jeune homme, lui, n'était jamais entré dans Givrepierre, encore moins dans la salle d'audience. S'aidant de son bâton pour avancer, il se tordait le cou dans tous les sens pour admirer la pièce, longue d'une demi-lieue, au moins ! Elle se composait d'une grande allée reliant la porte de jaspe à un large promontoire de marches de cristal où était sculpté un immense siège de glace, rehaussé de pics de givre et orné simplement de quelques aigue-marine. Les accoudoirs représentaient des têtes de loups, l'une montrant les crocs, l'autre paisible. De part et d'autre de l'allée, une succession de larges colonnes qui conservaient encore quelques vestiges de peintures, bien que le marbre veiné de bleu reste à nu. Le plafond était formé de clés de voûtes brisées, au centre desquelles étaient taillées des corolles de plumes. Au fond de la salle, derrière le mystérieux trône se tenait une énorme statue, jaillissant du mur même, imposante et majestueuse : une grande chouette effraie, serres en avant, ailes fouettant l'air et regard glacial. Le travail de la pierre était tout simplement magistral et Frost se sentait happé par la créature. Elle dominait tout et son regard, son regard.... Il détourna les yeux, de peur de se perdre dans les siens. C'était dans cette pièce même que siégeaient les vieux rois du Grand Brask. Le lieu semblait abandonné depuis bien longtemps et Givrepierre constituait le seul indice de civilisation en ce monde. Frost avait toujours connu celui-ci vide et quelque chose lui soufflait qu'il le serait à jamais. Comme si, par la disparition de ce peuple légendaire, l'âme du désert gelé s'était évaporée. Il s'approcha du trône qui devait bien faire une fois et demi sa taille. Quel genre de créatures avait pu s'y assoir ?
- Nymeria ! appela-t-il.
La louve ralentit à peine, déjà proche de la sortie et seul le pivotement de l'une de ses oreilles indiquait qu'elle écoutait. Frost demanda alors, pétri de curiosité :
- Qui vivait ici ? A Givrepierre, je veux dire.
- Qu'est-ce que j'en sais moi, grogna son interlocutrice. Quelque chose de grand, ça c'est sûr.
- Ce peuple devait bien avoir un nom... Pourquoi ont-ils disparu ?
- Le froid, la faim, les guerres, je suppose. Peu importe dans quel monde du Séculaire on se trouve, y'a toujours toute une flopée de malheurs et de catastrophes. Amène-toi maintenant !
- Mais...
- Shhhh !
Jack ouvrit sa bouche et la referma. Zut alors. Nymeria avait promis de lui amener des réponses, mais d'un autre côté, ce n'était qu'une louve, elle ne détenait pas la science infuse. Cela n'empêchait pas le jeune homme d'être incroyablement intrigué par ce palais des glaces et cette mystérieuse civilisation. Et si cela avait un rapport avec lui, ce qu'il faisait ici ? Il jeta un dernier regard en biais au trône de givre avant de se lancer à la suite de sa compagne qui s'était éclipsée par une petite porte.
Nymeria lui avait signifié que pour passer de ce monde au Séculaire, il fallait emprunter un certain passage et qu'ils en trouveraient un, ici, à Givrepierre. Frost avait alors brièvement évoqué le vortex par lequel était parti l'étrange renne et ses passagers et la louve avait acquiescé : c'était bien de ce genre de portail magique dont il s'agissait. En attendant, cela faisait quelques heures qu'ils se baladaient entre les murs du château et Jack commençait à perdre patience. Combien de temps allaient-ils passer dans ce labyrinthe avant d'enfin trouver ce qu'ils cherchaient, à compter que le passage soit toujours utilisable ? Sa compagne le soulagea de ses soupçons en lui lançant :
- On y est presque !
Le jeune homme se surprit à accélérer le pas et il se porta à la hauteur de sa guide. Elle lui désigna du bout du menton un escalier dérobé et encombré de décombres qui paraissait monter vers l'extérieur. La louve s'y engagea sans difficulté, bondissant aux dessus des obstacles, faisant jouer de ses atouts d'animal sauvage. Jack, lui, y réfléchit à deux fois avant d'y aller à son tour. Les marches restantes supporteraient-elles son poids ? Il n'avait aucune envie de tomber et mourir écrasé par des blocs de glace ! Si, bien entendu, une telle chute pouvait lui être fatale car jusque-là, rien n'était venu à bout de son existence, ni le froid, ni la faim, comme l'évoquait sa compagne. Pour tester la stabilité du sol, il le tâtait de son bâton et se servait des murs comme appuis. Il progressait lentement mais sûrement. Il crut voir sa fin venir quand il glissa malencontreusement sur la pointe brisée d'un stalacmite et que derrière lui, ce fut tout une paroi qui s'effondra dans un fracas à réveiller les morts. Il dut bondir en avant pour éviter l'avalanche de gravas et se réceptionna mal, manquant de se fouler la cheville. Relevant douloureusement la tête, il tomba nez à museau avec Nymeria :
- Qu'est-ce que tu fabrique ?! On va t'entendre avec tout ce boucan !
- Désolé. Enfin, de toute façon, ces lieux sont abandonnés, à qui cela pourrait-il nuire ?
- Il ne faut jamais oublier les esprits des morts, murmura d'une drôle de voix la jeune louve.
Les lambeaux dévastés de son visage s'étaient resserrés et plissés, signe probant d'une inquiétude certaine. Les esprits des morts ? Quels morts ? S'agirait-il des âmes errantes des anciens habitants du château ? Nymeria toisa son compagnon quelques instants avant de se retourner et s'engouffrer dans une fente du mur, à la taille d'un enfant. Frost secoua la tête pour se débarrasser de son lot de questions, faisant valser dans l'air gelé ses cheveux lactés. Il suivit sa guide jusqu'au trou par lequel il dû passer en rampant, à cause de sa trop haute taille. Il ne se rendait certes pas compte, mais il atteignait bien le mètre quatre-vingt-dix. Seulement, il n'avait aucun élément de comparaison et ne connaissait rien de la « norme ». Le tunnel menait à une pièce sombre à l'atmosphère chargée de poussière qui arracha quelques éternuements au fils de la Lune. La louve l'attendait, assise dans le noir, ses yeux jaunes brillant dans l'obscurité, l'esquisse de ses balafres soulignés de ténèbres. Ces iris étaient pareilles à deux flambeaux dans une nuit lacérée par un courroux divin.
- C'est ici, annonça-t-elle simplement en un souffle.
Frost, courbé à cause du plafond bas, détailla le lieu, cherchant l'indice d'un quelconque portail. Mais il ne vit que de la pierre partout, sombre et craquelée, rien de saisissant. Qu'était-il sensé faire ? Sa compagne dut lire son incompréhension sur son visage :
- Il faut que tu l'active. Le vortex, je veux dire.
- L'activer ? s'étonna le jeune homme. Mais, comment ?
- Je ne sais pas, ce n'est pas de mon ressort. Je sais juste que tu dois le faire, c'est tout.
Le ton était sans appel. Nymeria semblait prête à attendre des siècles qu'il trouve la solution. Comment, comment ? Frost était désemparé, il n'avait aucune idée de ce qu'il était supposé faire, déclencher ! Et il n'y avait rien dans la pièce qui pouvait l'aider. Réfléchir, il lui fallait se concentrer. Il se repassa en boucle dans son esprit le moment où il avait vu le renne et ses passagers disparaître dans le rayon lumineux. Ainsi que la poussière d'étoile lorsque ce-dernier s'était résorbé. Quelque chose s'était forcément passé à l'ouverture du portail. Qu'évoque une lumière ? Que lui évoque une lumière ? La seule flamme qu'il connaisse est celle de la Lune. Cela avait sûrement un rapport. L'astre nocturne se meut dans les cieux, ce qui signifie qu'il doit être visible par plusieurs mondes. Donc qu'il en éclaire plusieurs terres...
- Nymeria, lâcha-t-il soudainement, où doit-on aller exactement ?
- Je pense qu'il serait bon de commencer par Duainhir.
Frost n'avait aucune idée de ce qu'était « Duainhir », encore moins où cela se trouvait. Cependant, il s'efforça à penser de toutes ses forces à ce mot, cherchant sa texture, l'instant dans lequel il s'ancrait, les couleurs qu'il prendrait en étant soumis à la clarté lunaire. Puis il souffla, mué par une force mystérieuse :
- Vers Duainhir !
Il ouvrit les yeux. Tout d'abord, il ne se passa rien. Mais tout à coup, quelque chose explosa et une violente lumière vint éblouir son regard cristallin. C'était fort, c'était chaud et énorme.
- Ca marche ! entendit-il japper la jeune louve.
Il vit sa silhouette canine plonger au c½ur du vortex. Sans un coup d'½il en arrière, sans même songer à ce monde qu'il quittait peut-être définitivement, il s'élança à sa suite au c½ur même de la lumière. Celle-ci, après sa disparition à travers le portail perdura quelques instants. Puis le rayon s'éteignit d'un coup, ne lancer derrière lui que des petits points blancs. Il ne s'agissait pas de poussière d'étoile, comme se l'était figuré Frost. C'était de petits flocons de neige. L'annonciation de certains changements. Le cavalier progressait de quelques cases.
†
Il reporta son attention sur le bambin et murmura attendri :
- On va s'occuper de toi, enfant.
Il la berça doucement et la petite se mit à bâiller. La pauvre passait son temps à sommeiller, comme si elle était déjà fatiguée de sa propre vie. Parrain ne lui souhaitait que le meilleur, elle devait être aussi forte que ses frères. Il l'observa silencieusement. Embre la Douzième. La dernière aussi. Elle serait bien au palais de l'Automne, chez Damsel Tan qui s'occuperait d'elle et la protégerait comme sa propre fille. Tan se consolerait peut-être de sa précédente perte et verrait en l'enfant un espoir de renaissance, la flamme des feuilles mortes à l'aube du renouveau. Le Gardien ne l'aurait mise nulle part ailleurs. Oh, il aurait pu la garder lui, mais quelque chose lui soufflait que ce n'était pas son rôle. C'était étrange : il était parti au Grand Brask à la recherche de la quatrième saison et il était revenu avec trois Sang-Maîtres. Et chacun d'entre eux avait été casé chez une saison différente. Curieux, non ? A moins que là-haut, bien au-delà des cieux, la Dame Blanche ne joue à un jeu dangereux. Mais contre qui ?
Il s'installa à son bureau dévasté par l'entrée pour le moins fracassante de Warden et agita une branche de grelots. Aussitôt, un tanuki émergea du conduit de cheminée le plus proche et trottina jusqu'à lui, le bruit de ses griffes retentissant dans toute la salle. Une fois à la hauteur de son maître, il se dressa sur ses pattes arrière et le fixa. Le violet de ses yeux troubla quelque peu Parrain. La créature remua son pelage or constellé de taches blanches. L'autre lui tendit Embre et il s'en empara avec une délicatesse insoupçonnée.
- Conduit-là à Damsel Tan, ordonna le Gardien, à Mousselyre. Sois le plus discret possible, personne ne doit être au courant de ta mission, est-ce clair ?
Le tanuki pencha légèrement la tête sur le côté, sans se départir de son intense regard. Strukchivnotvorschtovsky jugea qu'il s'était fait comprendre et d'un signe de main, l'invita à se mettre en route. La créature magique progressa jusqu'au conduit de cheminée puis y disparut, serrant la gamine contre son pelage de blé doré. Parrain aurait dû se sentir soulagé mais il ne pouvait s'empêcher d'être nerveux. Dans l'air, quelque chose de lourd arrivait et cela l'oppressait. Il n'aimait pas ça. Il n'aimait pas ça du tout, même. Et la Dame Blanche qui ne soufflait mot... Un silence s'était couché sur le Séculaire. Et pourtant, le Grand Brask hurlait avec fracas. Mais le Gardien n'arrivait pas à en saisir les mots.
Le tanuki aux yeux d'améthystes emprunta plusieurs couloirs, de multiples ascenseurs, allant toujours plus haut. Il déboucha finalement dans une grande salle, au dernier étage du Pont où l'air était respirable. La pièce était vide et la lumière des astres filtraient à travers les murs de vitre claire. Une silhouette humaine trônait au centre. A l'approche de la créature, elle se retourna, mais un long manteau aux frasques noires empêchait de distinguer ses traits. Le tanuki s'avança, déposa Embre à ses pieds et se remit à quatre pattes. La femme encapuchonnée caressa son pelage de sa main aux longs doigts pâles :
- Merci Riguel, tu as fait du bon travail.
Quand la créature releva la tête, elle n'avait plus rien d'un tanuki, mais affichait bel et bien un visage d'homme où brillaient deux améthystes étincelantes. Il acquiesça en silence et la main de sa maîtresse se retira de sa chevelure or. La femme reporta son attention sur l'enfant, toujours assoupie.
- Embre la Douzième, commenta-t-elle en un souffle. Si frêle et fragile. La dernière d'entre tous. Prends soin de cette petite, Riguel. Deviens son Gardien, protège son innocence. Avec les Temps qui se préparent, c'est une chose précieuse qu'il faut nous conserver.
Riguel reprit le bambin dans ses bras et la contempla, de l'étonnement et de la curiosité dans le violet de ses iris. Cela dut amuser sa maîtresse qui laissa échapper un soupir rieur. Son serviteur lui lança un regard accusateur et elle sembla lui sourire sous sa capuche. Entre ces deux-là, c'était tout un monde et ils faisaient en sorte qu'il leur soit propre. La silhouette finit par se détourner et ordonna d'une voix plus forte :
- Fais ce que le Gardien des Clefs du Temps t'a demandé. Ne me dérange que si c'est urgent. Ah et, si par hasard tu croise mon dernier-né, aide-le dans sa quête de vérité. C'est très important.
Nouvel éclat violet. Riguel redevint un tanuki. Il prit Embre délicatement entre ses crocs et trottina en direction de sortie. Lorsqu'il se retourna, sa maîtresse avait déjà disparu. Ne laissant derrière elle qu'une plume blanche. La créature sourit intérieurement. Il y avait certaines choses qui ne changeaient jamais. Et il s'engouffra dans une porte dérobée.

Sidera-TheStory, Posté le jeudi 11 juillet 2013 07:58
Et me revoici pour ce chapitre 2 avec des commentaires tout mélangés, ce qui m’a marqué, les corrections de fautes de frappe, d’orthographe, au fil de ma lecture de ce chapitre ! :p
- Des descriptions avec des images et métaphores fournies, parfois même très poétiques, qui correspondent bien au merveilleux de cette histoire ! :D
- "ce qui permet à Frost de l'éjecter un mètre plus loin" = "permit"
- Il faudrait voir peut-être à agrandir un tout petit peu le texte, je me rends compte que je dois pas mal forcer sur mes yeux pour lire.
- "il respirait l'air vivifiant des cimes jusqu'à ce qu'il étouffe" = "respirerait", usage du futur avant, je pense que tu voulais mettre du futur ici aussi, sinon cela ne colle pas
- "Tu n'as de nom ?" = manque le "pas"
- C'est super joli Nymeria! 8D Et yeaaaahh, une louve intelligente! :D
- "changea brièvement de position avant de sa lancer" = "se lancer"
- Wouah, des hyènes comme montures, la chevauchée risque d'être éprouvante!
- "Le Printemps laissait sa place à l'Eté et les créatures de ce-dernier " = "ce dernier" sans tiret entre les deux mots, et il me semble que je l'ai vu avant et après aussi...
- "Warden plissa les yeux et son concentra au maximum." = "se concentra"
- "- Je me vois mon reflet, répondit l'enfant" = je crois que tu as pensé à deux phrases en même temps "Je me vois dans l'eau" et "Je vois mon reflet". ^^
- "elle te renvois ta propre lumière" = "renv-oie", le verbe est au présent ici. :d
- Le pouvoir de Warden est génial, pouvoir tout voir (enfin ce que le Dame Blanche veut bien lui montrer) peut être sacrément utile!
- La description de Givrepierre est fournie, je me suis bien projetée facilement dans ce palais de marbre bleu et de givre!
- "- Qu'est-ce que tu fabrique ?! " = "fabriqu-es", deuxième personne du singulier
- "et s'engouffrer dans une fente du mur, à la taille d'un enfant." = la phrase me fait un peu bizarre, personnellement, je crois que je mettrais plutôt "de la taille d'un enfant"
- O.O Nom de Zeus, notre ami Frost fait 1m90!!! La vache, qu'il ets grand! 8D
- "Donc qu'il en éclaire plusieurs terres..." = le "en" n'est d'aucune utilité ici puisque tu mentionnes ce que l'astre éclaire
- "Puis le rayon s'éteignit d'un coup, ne lancer derrière lui que des petits points blancs" = "ne laissant"
- Je me posais une question bête... Tu réécris à chaque fois le nom de Parrain ou tu le copie-colle? xD (non mais vraiment, ça, c'est du nom à rallonge imprononçable! J'adore! 8D)
- "c'est une chose précieuse qu'il faut nous conserver." = "qu'il nous faut conserver"
- "et trottina en direction de sortie" = "de la sortie"
Et sinon, "Winter is coming"... xD (bon d'accord, j'arrête là mes blagues à deux francs)
Hatch, Duck lecteur